Discours du Président de la République : La
caricature facile
Il existe une règle constitutionnelle, si je me souviens
bien, qui exige du Président de la République, un discours devant le Parlement
Togolais une fois par an, si ce n’est le jour de l’indépendance. Le Président
de la république togolaise, Faure Gnassingbé s’y est plié une seule fois si ma
mémoire est bonne, au palais des congrès, durant son premier mandat.
Cette année comme celles déjà traversées, le peuple togolais (les sujets du
président) s’est contenté d’une allocution télévisée. Un discours qui, probablement
écrit des mains de l’armée de conseillers expatriés en communication, se
voulait accessible à tous. Il y avait visiblement à la tête de l’état, une
volonté manifeste pour que le togolais ayant atteint au moins le CM2 (Après le
CM2, l’école n’est plus gratuite) puisse y comprendre quelque chose.
Pourtant, les différents thèmes abordés et ce qu’en dit
l’homme qui ne pense plus qu’à avec une
gestuelle plus ou moins remarquable (aurait-il pris des cours ?) est sujet à
critique.
Pardon et Réconciliation
Le Président demande qu’offenseurs et offensés se
pardonnent mutuellement ? je le cite ici : « Nous devons tourner nos esprits et
nos cœurs vers l’offensé et vers l’offenseur, prendre notre courage à deux
mains et dire à l’autre : Togolais viens, bâtissons la Cité ».
Euh… généralement, dans une affaire, c’est seulement à
l’offensé de pardonner l’offenseur. L’auteur du discours, si ce n’est pas le
Président lui-même, a dû y mettre tellement de verve et de sentiment qu’à la
fin, il s’égare et égare par extension le Président de la République ?
Mais là encore, laissons ces questions de formes, qu’on
nous justifiera peut-être aussi par les vicissitudes de la langue française et
revenons au pardon lui-même.
Il y a quelques jours, un fonctionnaire des médias d’état
m’a raconté un témoignage aux assises de la CVJR : Le Colonel Félix Katanga, le
Commandant des Forces d’Intervention Rapide a été torturé à mort son chauffeur,
un jeune militaire. On le soupçonnait d’avoir volé à l’officier une somme
d’argent (un million de francs) dans sa voiture. Le chauffeur a été obligé
d’avouer sous la torture avoir commis le vol alors qu’il n’en était rien. Il
aurait par la suite téléphoné à sa mère pour lui demander de vendre quelques
biens pour réunir la dite somme pour qu’il puisse rembourser son supérieur. Le
temps que cela ne fut fait, l’homme probablement brisé physiquement et
moralement par les séances de torture, avait trépassé. Le comble, c’est que
bien des jours après, la somme d’argent a été retrouvée. Elle avait été prise
par la femme du Colonel Katanga dans la voiture. L’analyse de mon ami
fonctionnaire était que le geste de la femme du Colonel était dictée uniquement
par jalousie parce qu’elle était sûre que son mari avait préparé cette somme
pour la remettre à une maîtresse. Le problème est qu’elle ne savait pas que
pour cette action commise sur un coup de tête de femme jalouse(Ah les femmes
!), un homme se faisait torturer à mort.
L’histoire fut racontée aux assises de la CVJR par une
mère en pleurs.
Je ne sais pas pour vous mais… la perte d’un enfant, que
ce soit pour cause de maladie, pour mort subite, ou accidentellement est un
déchirement énorme. Mais alors quand vous apprenez que c’est pour une scène de
ménage dont il ne savait même rien, que votre fils a perdu la vie, et ceci de
la manière la plus inhumaine par quelqu’un qui a fini de se torcher avec les
conventions de Genève, vous avez difficilement envie de jouer à ce jeu de
pardons entre offenseurs et offensés.
Dieu seul sait si l’entourage Présidentiel compte
beaucoup d’offenseurs et peu d’offensés.
Pour moi, le pardon ne doit pas se donner tant qu’on
n’est pas moralement apaisé de l’évènement qui nous a heurté de plein fouet !
Tant que les blessures ne sont pas naturellement cicatrisées. Ceci dit, il ne
faut pas non plus céder aux esprits de vengeance et à leurs plats à manger
froid. Seulement, je préfère encore ne rien à avoir avec ceux à qui j’en veux,
ne plus rien partager avec eux, et les laisser avec leurs consciences ; laisser
comme l’a dit Agatha Christie, le bon Dieu et la nature agir lentement. Que le
Président de la République arrête de quémander le pardon ou nous amène à opter
pour un pardon forcé est loin d’être la voie royale vers la réconciliation. Si
les offensés doivent en plus supporter le fait de pardonner sur ordonnance ou
par obligation, où est l’esprit d’apaisement que l’on veut imprimer à la
réconciliation, elle-même tant forcée dans un pays où de toute façon, mêmes les
non-offensés et les non-offenseurs ne sont pas contents : mauvaise économie,
mauvaise politique, mauvaise gestion du bien public. Un pays où il y a trop de
choses qu’on habille d’adjectifs aux sens négatifs.
L’économie
Je reconnais ici que le Président s’est voulu honnête
avec lui-même et avec le peuple Togolais. « La meilleure parade face aux défis
actuels est de reconnaître les progrès qui ont été accomplis (oui c’est vrai il
y a eu quelques routes) tout en soulignant les insuffisances qui doivent être
surmontées (là, les exemples sont légions !) ».
J’aime aussi quand le Président dit plus loin « Lorsque
le plus petit nombre accapare les ressources au
détriment du plus grand nombre, alors s’instaure un déséquilibre
nuisible qui menace jusqu’en ses tréfonds la démocratie et le progrès ».
Au moins on peut en être sûr. Le président est conscient
que le petit nombre, qui irrémédiablement, se trouve autour de lui, garde
toujours de mauvaises habitudes. Ce qu’il ne dit pas en revanche, c’est ce
qu’il compte faire ; les mesures à prendre tuer dans l’urgence, ces habitudes qui
coulent le paquebot togolais.
La population, son bien-être et celui de l’état
Les prochaines lignes sont les morceaux choisis qui ont
nommément déplu dans les togolais en général, “excepté le petit nombre qui
accapare les ressources” :
« Les temps sont révolus où les citoyens devraient tout
attendre des pouvoirs publics, où l’Etat devait tout distribuer, tout
réglementer, tout régler ».
« Le moment est venu où nous devons prendre notre destin
en mains, concevoir, travailler, produire par nous-mêmes et pour nous-mêmes ».
« Cinquante-deux ans après l’Indépendance, on ne doit
tendre les mains vers les autres que pour prendre part à l’effort collectif et
non pour attendre notre salut d’autrui ou de l’extérieur ».
« Agrandir sa maison en mordant sur la voie publique,
jeter des ordures et des déchets de toutes sortes dans la rue, encombrer
sciemment les trottoirs qui viennent d’être rénovés, ne pas respecter les
voies, les ponts, les chaussées réaménagés à grand frais, bloquer la
circulation piétonne en envahissant les trottoirs, boucher les caniveaux
destinés à évacuer les eaux de pluie, se faire transporter à trois ou à quatre
sur une seule motocyclette, jeter les eaux usées dans les rues sont des
attitudes qu’il est urgent d’abandonner ».
« Le respect de la chose publique est une valeur
fondamentale que nous devons préserver, car le développement est à ce prix ».
Mes amis de beuverie et de discussion, qui sous le coup
du « In Vino Veritas » (la vérité se trouve dans le verre (ou dans le vin)) se
lâchent en commentaires sur la vie politico-économico-social disaient ne pas
comprendre le Président.« Est-ce à lui de leur dire que ce n’est pas bon de
jeter les ordures dans la rue » ? « D’accord, on ne les jette pas, mais qu’est
ce qu’il nous propose en retour » ? « que les citoyens n’attendent pas tout du
pouvoir public, alors pourquoi le pouvoir public attendrait quelque chose de
nous » ? « Quand le Président veut citer les problèmes au cas par cas, pourquoi
il ne cite pas tous les cas ? il a par exemple oublié de parler du problème
estudiantin » ! les commentaires autour d’un pot vont dans tous les sens hein,
me diriez vous. Pourtant, ils sont souvent sensés, d’où la maxime de la vérité
au fond de la bouteille, mais encore là, passons !
En vérité, le bien public est un vaste chantier ; et le
Président lui-même ne donne pas l’impression d’en cerner l’importance, sinon de
contrôler du côté de son équipe gouvernementale, les gestions scabreuses qu’on
en fait. Dans mon quartier de djidjolé, des feux tricolores ont été récemment
installés après l’ouverture d’un carrefour dont les routes afférentes ont été
pavées. Ces feux tricolores doivent déjà avoir six mois d’âge depuis leur
implantation. Mais le nombre de fois où ils sont tombés en panne, ou restés
éteints frise le ridicule. Dans les meilleures semaines, on a des feux
fonctionnant 5 jours sur 7. Ce qui me fait repenser à des odeurs d’éléphants
blancs fumants sur le grill d’un Togo désabusé du bien public. Quelqu’un a
commandé ces feux tricolores quelque part, quelqu’un qui ne s’est pas assuré de
sa viabilité, quelqu’un qui l’a acheté à vil prix à cause de sa mauvaise qualité
et l’a revendu au gouvernement à un prix élevé pour qu’à la fin, il ne serve
finalement à rien !!! Voilà ce qu’est
l’exemple parmi tant d’autres, de bien public que le Président demande aux
togolais de conserver.
Pourquoi le Président n’a-t-il pas parlé par exemple de
la fonction publique, où l’on soupçonne que tout est fait à moitié. Les gens
travaillent à temps partiels, les recrutements se font avec des objectifs
atteints partiellement, la fonction publique, elle-même est improductive, et
représente un trou déficitaire pour le pays etc.
J’ai un ami Ingénieur Génie Electrique. Il a été recruté
avec le concours d’entrée dans la fonction publique. Aujourd’hui, il a un
bureau au Cabinet du Ministère de l’Energie où il s’ennuie prodigieusement.
Pourtant son pays lui verse un salaire, il faut le reconnaître assez misérable.
Mais il a l’impression permanente de ne pas servir à quelque chose. Ces cas
sont légions dans notre fonction publique pour laquelle on nous a ressassé la
phrase : LE CHEF DE L’ETAT A RECRUTE 4 000 NOUVEAUX FONCTIONNAIRES !!! c’était
en fait ça le plus important pour le chef de l’état. Après s’ils servent ou
pas, s’ils sont présents effectivement ou pas, s’ils produisent ou pas, ce
n’est plus son problème.
Je crois que c’est toujours facile de caricaturer. Et
dans son discours, le chef de l’état s’est prêté à cet exercice, il a fait un
peu de Donisen Donald. Sinon, comment
expliquer qu’on puisse trouver des réponses et des contrepieds faciles aux griefs
qu’il a nommément soulevés ?
Les gens montent à trois sur la même motocyclette ? Bah,
c’est parce qu’ils vivent avec moins d’un dollar par jour.
Les gens jettent les ordures dans les rues ? bah, parce
que la politique de ramassage d’ordure de la mairie ne fonctionne pas comme
elle devrait !!!
Les gens envoient les sachets virevolter en l’air et les
laissent tomber dans les caniveaux d’évacuation ? bah parce que aucune
politique citoyenne d’information et de formation, ajoutées aux infrastructures
de recyclage d’ordures (ou poubelles) n’existent!!!
Je voudrais aussi rappeler, pour la note drôle du
discours, que le nègre du Président (celui qui écrit son discours) se laisse
parfois aller à la poésie. L'homme serait-il un peu poète sur les bords. Un
sentimental au fond, et c’est l’image qu’il veut communiquer à notre chef
d’état en lui faisant dire des phrases teintées d’un certain lyrisme comme « de
sublimer nos sentiments, pour atteindre de nouveaux horizons qui verront éclore
un Togolais nouveau » ou encore « prêt à aborder de nouveaux rivages où
triomphent la Paix, la Justice et la Sérénité ». Les nouveaux rivages, lol ! Ce
type doit aimer les plages ensoleillés, un cocktail à la main, couché dans un
hamac, lol ! Sinon à cette allure, le Président de la République est à deux
doigts d’ajouter un nouveau couplet à notre hymne national.
Mais plus sérieusement, ceux qui ont trempé (au sens
figuré) leur langue dans du vitriol pour dire que le discours du Président
était creux n’ont pas tout à fait tort. A l’analyse, on voit qu’ils ont raison
en de nombreux points. Le Président n’a dit que ce qu’on pouvait lui retourner
en accusation directe avec des arguments solides. Il a demandé aux togolais de
faire ci, de faire ça, mais il n’en a pas donné les moyens pour autant, il ne
promet pas d'en donner et bien d’insuffisances viennent de son gouvernement, de
sa gouvernance. Si les Togolais doivent faire leur part dans le développement,
il faut qu’ils espèrent que les gouvernants fassent aussi la leur !!!
A la rigueur, Faure Gnassingbé aura montré qu’il a la
volonté de changer les choses. Il l’a montré par le passé quand il a écarté de
temps à autre des affaires, tel Ministre ou tel collaborateur qui faisait mal
son travail : Payadowa BOUKPESSI par exemple, ou encore Gilbert BAWARA, revenu
comme un Conseiller qui a apparemment l’oreille du Président. Mais visiblement
cela ne suffit pas.
Parfois aussi, tout montre que les habitudes du sérail
présidentiel ont la vie dure !!! DURE comme les panneaux en dur en ville pour
faire la promotion d’UNIR, le parti-verbe du 2ème groupe (lol !). Je voulais
leur proposer un slogan (Unir n’est plus seulement un verbe, c’est un
engagement politique). Mais comme je ne suis pas encore prêt d’être membre,
euuuuh, enfin, je leur donne ça cadeau.
Mais venons-en aux panneaux. Le Togolais qui change ne
veut plus du culte de la personnalité qui a été le soubassement du vibrant
appel de Kpalimé passé aux oubliettes il y a quelques semaines. Le Togolais qui
change (c’est le président qui l’a dit, le Togo change) ne veut pas qu’on assimile
le mouvement politique dont il va faire partie à un seul homme. Quand on n’est
pas en campagne en France, les affiches de l’UMP ne portent pas le visage de
Sarkozy. Quand on n’est pas en campagne au Togo, les affiches d’UNIR portent (à
quoi ça sert d’ailleurs, puisque la présidentielle est encore loin) le visage
de Faure Gnassingbé. C’est assurément une conduite dictée par un ou plusieurs
hommes et femmes du sérail. Jouer les grenouilles de bénitier en expliquant au
Président qu’on va mettre sa photo partout en ville parce qu’il est le plus
beau, il est l’homme de la situation, il est le leader, il est le guide ; etc.
Beaucoup d’eau de crabes morts (à traduire en mina) pour après espérer être
dans ses bonnes grâces. Monsieur le Président, nous aussi nous voulons que vous
mettez fin à ces comportements.
Sinon, comme le disait un togolais désabusé parmi les
désabusés : « Si ce pays est bien géré, que nous mangeons à notre faim, que
l’avenir de nos enfants est assuré, Faure Gnassingbé peut faire même mille ans
là bas, on va oublier même les problèmes de réconciliation tout ça, comme quand
le Togo a brillé dans les années 2000 en football. Il n’y aura pas de togolais
de tel bord ou de tel bord, c’est nous tous qui allons le supporter ». Je crois
que celui qui a dit ça n’avait pas poursuivi ses études après le CM2.
Vence Tchamba Adzimahé
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