mardi 24 mai 2011

Le Festival de Cannes – Ce qu’en pense Paulo Coelho

Extraits du livre : La solitude du vainqueur – Paulo Coelho

Après tout, le festival de Cannes, a commencé depuis quatre jours, et il ne s’est encore rien passé. Aux différentes tables, tous veulent la même chose : rencontrer le pouvoir. Les jolies femmes attendent qu’un producteur tombe amoureux d’elles et leur offre un rôle important dans leur prochain film. Il y a là quelques acteurs qui bavardent entre eux, riant et faisant comme si tout cela ne les concernait pas, tout en gardant un oeil sur la porte.

Quelqu’un va arriver.

Quelqu’un doit arriver. Les jeunes réalisateurs, qui ont des tas d’idées, des vidéos faites à l’université dans leur CV, qui ont lu toutes les thèses au sujet de la photographie et du scénario, attendent leur chance. Quelqu’un qui, revenant d’une fête chercherait une table vide, demanderait un café, allumerait une cigarette, se sentirait épuisé d’aller toujours aux mêmes endroits et serait ouvert à une nouvelle aventure. 

Quelle naïveté ! [...]

Avant de débarquer en France, il a voulu savoir quels films étaient en compétition – il a eu une immense difficulté pour obtenir cette information. Et puis un ami a déclaré : « Oublie les films. Cannes est un festival de mode ».

La Mode, qu’en pensent les gens ? Croient-ils que la mode est ce qui change avec la saison de l’année ? Sont-ils venus de tous les coins du monde pour montrer leurs robes, leurs bijoux, leur collection de chaussures ? Ils ne savent pas ce que ça signifie. « Mode » est seulement une façon de dire : j’appartiens à votre monde. Je porte l’uniforme de votre armée, ne tirez pas dans cette direction.

Depuis que des groupes d’hommes et de femmes ont commencé à vivre ensemble dans les cavernes, la mode est le seul moyen de dire quelque chose que tous comprennent, même sans se connaître : nous nous habillons de la même manière, je suis votre tribu, nous sommes unis contre les plus faibles et c’est ainsi que nous survivons.

Mais ici se trouvent des gens qui croient que la « mode » est tout. Deux fois par an, ils dépensent une fortune pour changer un petit détail et rester dans la tribu très fermée des gens riches. S’ils faisaient maintenant une visite dans la Silicon Valley, où les milliardaires des industries de l’informatique portent des montres en plastique et des pantalons râpés, ils comprendraient que le monde n’est plus le même, tous semblent appartenir à la même classe sociale, personne n’accorde la moindre attention à la grosseur du diamant, à la marque de la cravate, au modèle de portefeuille en cuir. D’ailleurs cravates et portefeuilles en cuir sont introuvables dans cette région du monde, mais près de là se trouve Hollywood, une machine relativement puissante – bien que décadente – grâce à laquelle les ingénus admirent encore les robes de haute couture, les colliers d’émeraude, les énormes limousines. Et comme c’est cela qui est encore présenté dans les magazines, qui a intérêt à détruire une industrie qui brasse des milliards de dollars en publicité, ventes d’objets inutiles, changement de tendances sans nécessité, créations de crèmes qui sont toujours les mêmes mais avec des étiquettes différentes. [...] Ceux dont les décisions touchent la vie de millions d’hommes et de femmes travailleurs, honnêtes, qui assurent leur quotidien avec dignité parce qu’ils ont la santé, un lieu où habiter, et l’amour de leur famille.

Pervers. Quand tout paraît en ordre, quand les familles se réunissent autour d’une table pour dîner, le fantôme de la Superclasse vient leur vendre des rêves impossibles : luxe, beauté, pouvoir. Et la famille se désagrège.

Le père passe des nuits blanches à faire des heures supplémentaires pour pouvoir acheter le nouveau modèle de tennis pour le fils, ou bien il sera jugé à l’école comme un marginal. L’épouse pleure en silence parce que ses amies portent des vêtements de marque, et elle n’a pas d’argent. Les adolescents, au lieu de connaître les vraies valeurs de la foi et de l’espoir, rêvent de devenir artistes. Les filles de province perdent leur identité et commencent à envisager l’hypothèse de partir pour la grande ville  et d’accepter n’importe quoi, absolument n’importe quoi, du moment qu’elles pourront posséder tel ou tel bijou. Un monde qui devrait marcher vers la justice se met à tourner autour de l’objet matériel, qui en six mois ne sert plus à rien et doit être renouvelé. Ainsi seulement, le cirque peut continuer à maintenir au sommet du monde ces créatures misérables qui maintenant se trouvent à Cannes (Le festival).


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