lundi 20 décembre 2010

On a muselé les radios

J’ai voulu faire un titre dans le genre « on a marché sur la lune », le célèbre album de tintin qui montrait d’une façon somme toute originale qu’on pouvait bien être journaliste (tintin était journaliste) et se payer un de ces quatre matins, un tour sur la bonne vieille lune. Mais là encore, passons…
Comme j’habite un pays africain normal, aux évènements très anormaux (c’est ce qui fait notre normalité), je me suis dit, bah, pourquoi, ne pas, (pour faire aussi un peu de remplissage), mettre à l’écrit ce que je pense de ce que j’écoute à la radio, comme actualité politique de la terre de nos aïeux (surnom bizarre donné au Togo, comme si les autres pays n’avaient jamais eu leurs lots d’aïeux) et donc des terres d’aïeux d’ailleurs.
La radio justement parlons-en. C’est mon premier thème de bloggueur. Trois radios, sur la bonne vingtaine que nous devrions compter sur la bande FM (j’ai arrêté de compter de toute façon) se sont retrouvées fermées par l’Autorité de Règlementation des Postes et Télécommunications du Togo. D’après ce que j’ai compris, deux d’entre elles avaient eu du mal à verser leurs redevances annuelles et la dernière aurait été fermée pour la simple raison qu’elle diffusait un programme somme toute politiquement incorrect.
La première réaction qu’on a en bon apprenti-démocrate que nous sommes au Togo, c’est : « Oui, la liberté d’expression vient de prendre un coup, il faut appeler Reporters Sans Frontières, la presse est muselée, les dirigeants de ce pays sont des gens foncièrement mauvais… » etc. les diatribes dans ce genre de cas sont légions et enrichissent la victimisation déjà évidente de ces journalistes qui pourtant sont avides des effets d’annonce, des coups médiatiques et tout le reste. Car voyez-vous, l’émission Essogbevo (qu’on peut traduire en français par, « le couvert est mis » ou « c’est fin prêt » ou mieux encore « ça va chauffer », beaucoup d’expressions annonciatrices d’un évènement imminent s’y prêtent dans le mina du Togo), a été longtemps une arène où on venait invectiver avec beaucoup de violences verbales le pouvoir en place au Togo ; et où on venait en même temps s’invectiver quand deux camps adverses étaient représentés en studio. C’est tout juste si la chose, depuis la période de l’élection présidentielle n’a pas pris des tournants d’une rudesse difficile à supporter pour les hommes de pouvoir. C’est alors qu’ils ont fait ce qu’ils savaient faire de mieux, ils ont fait fermer la radio, avec des arguments plus ou moins solides, où résidait probablement aussi une affaire de redevance, ajoutée peut-être à une accusation de diffamation ou à quelque chose de politiquement incorrect (nous le disions). En tout cas, une chose est sûre, la radio de Essogbevo a été fermée. Autant dire ironie du sort, « Essogbevo » !
De là, à prendre fait et cause pour la radio muselée, est toujours chose aisée. Nous pourrions tous répéter à souhait ce que je rappelais plus haut comme diatribes pour décrire les actions autocratiques (c’est ce qu’on a l’habitude de dire souvent), du régime à la tête du « Togo de nos aïeux ». Quand on prend pourtant du recul pour se souvenir de la fameuse radio Mille Collines (du rwanda) qui a littéralement dicté aux Hutus l’extermination des cafards (les tutsis) ; on se demande si ces litres de sang coulés sur la terre rwandaise ne suffisait pas à faire appel au sens de la responsabilité du journaliste togolais.
Le contrôle de soi, paramètre sans lequel l’édifice journalistique s’écroule est trop souvent mis de côté sur les antennes de certaines radios. Elles ouvrent leurs micros pour ceux qui veulent insulter tel camp politique, et tel autre, révoltant ici et là, les auditeurs, qui, ayant eux-mêmes perdu leur self-control, se laissent aller. Et il a été trop souvent prouvé et acquis pour vrai que les humains que nous sommes se laissent aller de plusieurs manières : il y a les excités de la machette qui sous l’effet harangueur d’un animateur radio, peuvent aller chercher à présenter le militant du parti politique adverse, à Dieu en personne ; il y a des excités du cœur qui voient leur tension artérielle augmenter, ou leur rythme cardiaque se muer en arythmie pour aboutir à un infarctus et que sais-je encore.
Doit-on toujours bâtir une émission de radios sur des insultes, des provocations et des menaces (parfois à peine voilées) pour obtenir un assentiment des auditeurs qui pensent : « ah, tel journaliste est bon, tel journaliste sait parler, il dit la vérité hein, c’est le meilleur, il n’a peur de rien hein »…
La pratique devrait rester d’un autre âge, on devrait l’enterrer avec les morts de Mille Collines au Rwanda, on devrait grandir dans le métier de journaliste et de communication de masse dont on  fait une profession. Après tout, la masse est difficilement maîtrisable, quand on lui sert trop d’informations susceptibles de la choquer.
Ce qui dans une autre mesure pourrait prêter à sourire dans le cas de cette radio, est qu’elle n’ait pas été fermée par la Haute Autorité de l’Audiovisuelle et de la Communication (HAAC) sur décision de justice. C’est en tout cas, ce qui est prévu dans les textes régissant tout ce qui est presse et organe d’information. Cette radio (la malheureuse) aurait à la rigueur fait l’objet d’une jurisprudence. En effet, la HAAC n’existe plus vraiment (ses membres sont en fin de mandat, et elle fait l’objet d’un vide institutionnel). L’ART&P (Autorité de Règlementation des Postes et Télécommunications) a donc jugé bon de procéder elle-même à la mise sous scellé de cette radio, alors qu’elle n’est habilitée en temps normal que pour attribuer les fréquences ou à les retirer si besoin est.
Notre pays est beau, il est merveilleux, et on se prête à toute sorte de sport pour remettre parfois certaines personnes dans les rangs ou pas, dans beaucoup de cas.
Remettre le peuple dans les rangs, c’est lui faire du bien à ses dépens. « Gouverner c’est parfois, savoir dire non » disait François Fillon quand on s’apprêtait à faire adopter les nouvelles lois sur les retraites en France. Le peuple est de loin, vu comme l’enfant de la famille, qui ne sait pas vraiment ce qui est bon pour lui. Il est attiré par telle chose, il prend goût pour tel autre, demande à avoir ceci ou cela, sans savoir vraiment, ce qui en découle à long terme. Et cela, c’est le travail des politiques. Dois-je d’ailleurs rappeler ici ces propos d’Edem Kodjo, le politicien qui n’est pas prophète dans son pays (comme le Christ d’ailleurs) : « De tout ce que la politique pouvait amener à faire de mal, elle le devait au diable par excellence ».
Les radios seront donc muselées par cinq, par dix, si cela devrait rendre service à tout le pays, à son insu. Que le peuple s’en plaigne. Qu’il en pleure, qu’il en souffre aujourd’hui, et qu’il reconnaisse dans plusieurs années (et ça prendra le temps que ça prendra) qu’on a voulu que son bien.
En ce moment-là, Dieu saura faire le tri entre les siens et ceux du diable sans que pour une fois, ce dernier ne se sente lésé.

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