vendredi 31 décembre 2010

Les dix limites de l'initiative PPTE

Les dix limites de l'initiative PPTE


Par Arnaud ZACHARIE
En juin 1999 au G7 de Cologne, les argentiers du monde s'étaient engagés à répondre positivement à la pétition de 17 millions de signatures (la plus grande de toute l'histoire de l'Humanité) déposée par la coalition Jubilé 2000 : 90% de la dette des pays pauvres devaient être annulés au cours de l'année 2000, grâce à l'application de l'initiative PPTE (Pays Pauvres Très Endettés). L'effort annoncé s'élevait à 100 milliards de dollars. Plusieurs pays annoncèrent jusqu'à 100% d'annulation. Pourtant, derrière ses effets d'annonce se cache une initiative complexe n'aboutissant pas à une réduction significative de l'endettement et de la pauvreté des pays pauvres…
1. Une logique contre-productive
L'initiative PPTE vise à rendre la dette des PPTE "soutenable" (ce qui signifie pour le FMI et la Banque mondiale ramener la valeur de la dette à 150% des revenus d'exportation), ce qui fait que seuls les pays ayant une dette "insoutenable" ont accès à un allégement. Cette logique aboutit à une course à l'endettement, vu qu'un pays réussissant à se désendetter est exclu de l'initiative (ce fut le cas du Bénin et du Sénégal dans l'initiative originale), tandis qu'un pays laxiste s'endettant entrera dans les conditions d'accès à un allégement.
2. Un nombre limité de pays éligibles
D'abord, la liste des PPTE se limite à 41 pays dont la dette cumulée ne représente que 10% de la dette du Tiers Monde. Ensuite, seuls les pays jugés "politiquement corrects" ont droit à un allégement. Il en résulte que le nombre de pays élus et la part de dette prise en compte pour un allégement sont très faibles. Début 2001, seul 1,6% de la dette du Tiers Monde est susceptible d'être allégée durant les prochaines années.
3. La majorité des pauvres non concernée
Vu que la liste des pays éligibles pour un allégement se limite à 41 pays, la majorité des pauvres de la planète ne sont pas concernés par l'initiative. En effet, 80% des pauvres vivent dans douze pays (Inde, Chine, Brésil, Nigeria, Indonésie, Philippines, Ethiopie, Pakistan, Mexique, Kenya, Pérou et Népal). Or, seuls le Kenya et l'Ethiopie font partie de la liste des PPTE.
4. Une conditionnalité politique
Seuls les pays jugés "politiquement corrects" par les créanciers sont admis pour un allégement. Cela signifie que des pays de la liste PPTE, comme par exemple le Soudan, n'auront pas accès à l'initiative (car il n'est pas un pays "ami"). La dette est donc toujours utilisée comme un levier géopolitique, ce qui explique que l'Ouganda, allié stratégique des Etats-Unis en Afrique, est le pays recevant les meilleures conditions d'allégement (c'est d'ailleurs le seul pays à être arrivé au terme de l'initiative début 2001).
5. Des conditionnalités économiques contre-productives
L'accès à un allégement est conditionné à l'application de deux phases de réformes d'ajustement allant de trois à six ans. Bien que rebaptisées "cadre stratégique de lutte contre la pauvreté", les réformes économiques restent les mêmes que celles appliquées jusqu'ici au sein des programmes d'ajustement structurel : libéralisation et privatisations massives; austérité budgétaire et fiscalité indirecte élevée; politique économique basée sur le "tout à l'exportation". Aussi, les pays pauvres restent condamnés à l'exode des capitaux (grâce à la libéralisation facilitant l'évasion fiscale et les rapatriements de bénéfices), à l'appauvrissement des populations locales (touchées de plein fouet par la TVA élevée et le démantèlement des services publics) et à la dépendance envers quelques produits d'exportation dont la valeur ne cesse de chuter sur les marchés mondiaux. Quant aux privatisations, elles sont élevées en véritable dogme, sans que leur efficacité ne soit le moins du monde analysée. Pourtant, la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement) note que "selon une étude récente de 53 pays, dont 10 d'Afrique subsaharienne, dans les années 80, l'investissement public aurait été généralement plus productif que l'investissement privé. L'explication donnée était une réorientation des projets d'investissement public vers des emplois plus productifs, ainsi qu'une réduction de la productivité des investissements privés due à l'insuffisance d'investissements publics complémentaires".
6. Un financement aléatoire
Alors que le G7 annonçait un effort de 100 milliards de dollars en juin 1999, on est très loin du compte actuellement : moins de 3 milliards ont été réunis ! Aussi, le financement de l'initiative est encore loin d'être assuré, les pays riches rechignant à appliquer leurs engagements.

7. Des projections de "soutenabilité" irréalistes
Non seulement le niveau de "soutenabilité" est sévère (une dette est-elle soutenable lorsque son service prive les populations locales de santé et d'éducation ?), mais en plus les projections à moyen terme des experts du FMI sont totalement irréalistes. Par exemple, alors que le prix du coton a perdu 46% de sa valeur entre début 1997 et fin 1999, les projections du FMI jusqu'en 2019 pour le Mali se basent sur une augmentation annuelle du prix du coton de 9% !
8. Des allégements homéopathiques et lents
Etant minimes et étalés sur une longue période, les allégements peuvent n'aboutir qu'à des diminutions minimes du service de la dette, voire à une augmentation ! Par exemple, le Mali devra, selon les estimations optimistes du FMI, rembourser 16,1 millions de dollars en 2010 pour 19,7 millions actuellement. Autre exemple : la Tanzanie ne verrait son service de la dette diminuer que de 7% dans le meilleur des cas. En outre, ces allégements sont étalés sous forme d'aides annuelles étalées sur trente ans en moyenne, ce qui signifie que des chocs extérieurs (chute des cours des matières premières, sécheresse, crise financière, etc.) sont susceptibles d'accentuer l'endettement de ces pays durant cette période. Le rapport 2000 de l'OCDE note ainsi que "la mise en œuvre intégrale de l'initiative ne se traduira pas par une diminution de la valeur (…) de la dette, car les allégements prendront pour l'essentiel la forme de remises d'intérêts et de dons destinés à financer le service de la dette, et non de réductions directes de l'encours de cette dette."
9. Un effort négligeable des institutions financières internationales
Le FMI et la Banque mondiale rechignent à annuler leurs créances, car ils disent avoir besoin de ces fonds pour garantir la stabilité financière internationale et financer le développement. Aussi, le FMI se limite à échanger de vieilles créances contre de nouveaux prêts à faibles taux d'intérêt. Quant à la Banque mondiale, lorsqu'elle renonce à une créance, elle se rembourse par le biais d'un fonds fiduciaire alimenté par ses Etats membres sous forme de prêts. Il ne s'agit donc pas d'annulation, mais de refinancement de vieilles créances que l'on sait impossibles à rembourser.
10. Une impossible démocratie
Alors que les institutions financières internationales ne cessent de prôner la "bonne gouvernance", tous les pays pauvres se limitent en réalité à appliquer leurs programmes, condition nécessaire à un allégement de dette. Comment espérer un pluralisme démocratique dans une telle situation ? L'exemple du Sénégal, qui a élu Abdoulaye Wade pour son slogan "Sopi !" ("changement" en wolof), en fait actuellement la malheureuse expérience : le programme du nouveau président est fort proche de celui de son prédécesseur Abdou Diouf, puisque le FMI et la Banque mondiale étaient déjà au chevet du pays depuis deux décennies.
Les résultats
Début 2001, seuls 22 pays sont pris en considération. Concrètement, seul l'Ouganda a atteint jusqu'ici le terme des deux phases de réformes et a reçu un allégement de 2 milliards de dollars (ce qui représente 0,1% de la dette du Tiers Monde). Même en se projetant dans l'avenir et en prenant en compte l'ensemble des 22 pays "éligibles" pour un allégement, seuls 15% de la dette des PPTE (soit 1,6% de la dette du Tiers Monde) seront au mieux annulés. La pauvreté n'est pas susceptible de diminuer dans de telles conditions…
Selon la CNUCED : "Les espoirs que l'on fonde actuellement sur la mise en œuvre de l'initiative renforcée en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) ne sont pas réalistes. L'allégement de la dette envisagé ne suffira pas à rendre celle-ci supportable à moyen terme (…); par ailleurs, l'ampleur de l'allégement de la dette et la manière dont il interviendra n'auront pas d'effets directs majeurs sur la réduction de la pauvreté" (CNUCED 2000, p. 31).
Le PNUD ne dit pas autre chose : "La dette continue d'être un frein au développement humain et à la réalisation des droits de l'homme. (…) L'initiative d'annuler le service de la dette en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) n'a jusqu'ici eu qu'un impact limité. (…) De nouvelles mesures, introduites en 1999, cherchent à fournir un allégement plus rapide et plus important en visant la réduction de la pauvreté. L'allégement de la dette reste toujours loin derrière les intentions et les promesses. Il est urgent que la mise en place de ces programmes s'accélère dans tous les pays et que de nouvelles initiatives soient mises en œuvre pour que la réduction de la dette ait une incidence sur le développement humain" (PNUD 2000, p.120).

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