Par ces temps de vie chère et de mort moins chère (Dixit Frédéric Gakpara), un pape son week-end en pays vaudou (cf visite papale au Bénin), les lettres ouvertes (Kwasi Nene au Président de la République, Frédéric Gakpara au Consulat de France) pleuvent comme de la grêle, et le plat amer jeté au commun des mortels des togolais tarde à devenir du miel.
Quant à moi, je viens très respectueusement vous parler d’éléphants blancs du Togo ; pas d’éléphants atteints d’albinisme, non ! mais des réalisations de grande envergure, d’initiative souvent publique, aux caractères prestigieux, mais qui s’avère plus coûteuse que bénéfique, ou encore dont l’exploitation et l’entretien devient un fardeau financier.
Je ne suis pas le premier à parler d’éléphants blancs du Togo. Gilles Labarthe, journaliste Suisse s’est intéressé de près à la chose togolaise avec son livre « Le Togo, de l’esclavage au libéralisme mafieux », où on retrouve de façon très surprenante des bons de commande d’armes qui étaient destinés au Togo et qui ont fini par exemple en Angola ! suivez mon regard. Si ce journaliste a raison, on peut entrevoir de loin ce pourquoi certains rebelles angolais n’aient pas porté les togolais dans le cœur jusqu’à vouloir présenter toute la sélection nationale togolaise à Dieu en personne en 2010. Nous étions rappelons-nous, en pleine coupe d’Afrique. Si jamais cet ouvrage de Gilles Labarthe vous tombe sous la main, de manière volontaire ou non, n’hésitez pas à le lire et à vous faire votre propre idée. Sait-on jamais…
Il y a quelques jours, Kwasi Nene, brillant communicateur à qui je voue une certaine admiration, a agréablement surpris la blogosphère et la sphère « facebookienne » togolaise en écrivant une lettre ouverte au Président de la République. Il y décrit avec des mots très justes le Togo d’en bas. A la lecture de la lettre, on comprend que l’auteur a voyagé, et a rencontré les populations, il a discuté ouvertement avec ces dernières qui lui ont confié les réalités qui ont été accrochés à leurs cous bon gré mal gré. Parmi ces réalités, j’ai relevé cette partie éléphantesque qu’est la construction d’éléphants blancs chargés de symbolismes inutiles pour des populations qui n’en demandaient pas tant. Pour ce que cela vaudra, cet article va donc revenir un tant soit peu sur les détails de ces réalisations « pas très utiles » qui poussent sur nos terres togolaises pour un gros zéro !
Je reprends l’explication de l’expression : on parle d’éléphants blancs quand on construit généralement un édifice ou quand on met en place une infrastructure que l’on promet à une grande utilité pour l’intérêt général des populations, et dont on se rend compte bien plus tard, et bien trop tard, qu’il ne sert à rien, ou même qu’il est devenu un gouffre financier. Entre temps, ceux qui ont été chargés de la réalisation du projet, maximisent sur les commissions perçues, les détournements en espèces ou en matériels, avant la fin des travaux. Une fois les poches remplies, ils ne s’inquiètent plus de ce que ces initiatives deviennent.
La lettre de Kwasi Nene au Président de la république rappelle par exemple l’existence au nord du Togo d’un certain marché nouvellement construit. Il a dû coûter la peau des fesses au contribuable togolais, mais n’est pas exploité pour plusieurs raisons : il est à 5 kilomètres des zones d’habitations, il n’y a pas de magasins pour entreposer les articles des commerçants, obligeant ces derniers à les déplacer sur des kilomètres tous les matins, et tous les soirs, à l’ouverture et à la fermeture du marché, etc. Résultat des courses, nous avons un beau marché qui ne servira qu’à étudier dans le pire des cas, comment font les mauvaises herbes pour pousser si vite.
A ma première rencontre avec Kwasi Nene, nous avons discuté de sujets similaires, entre autres, de latrines publiques construites quelque part à Bafilo, chez des populations de confessions musulmanes. Les latrines publiques ont été construites avec des ouvertures (portes d’entrées) tournées vers l’Est. L’Est vers lequel se tourne le musulman normal, quand il veut prier son Dieu. Les habitants de Bafilo ne voulant pas se tourner vers Dieu pour accomplir cette fonction physiologique d’excrétion, ont vite fait de boycotter les latrines publiques nouvellement construites ! elles ne servent pas ! Et pourtant, tous les ingénieurs en Génie Civil prennent en compte ce paramètre capital. Dans leur formation, on leur demande d’observer, d’analyser et de faire les plans en tenant compte des mœurs, des us et des coutumes du milieu d’implantation de leur chef d’œuvre.
Gilles Labarthe, revenons à lui, a cité dans son ouvrage, des éléphants blancs bien plus gros, voire énormissimes ! L’hôtel 2 Février selon ce journaliste, coûtait à l’époque, près de 17 milliards sur le premier devis, et a coûté sur le deuxième devis_ qui lui est définitif_ 35 milliards. La moitié des frais investis pour la construction de ce bâtiment serait passée dans les comptes personnels de certaines personnes chargés de la mise en œuvre du projet. L’hôtel 2 Février, raconte le journaliste, n’a jamais fait de réels bénéfices, au contraire, il était un gouffre financier dont le gouvernement togolais, (là tout le monde le sait) s’est finalement débarrassé pour cinquante ans, au profit de LAICO Hotels and Resorts de Mouammar Kaddafi. C’est dire si l’hôtel 2 Février est dans de beaux draps. Le journaliste suisse citera encore dans les pages de son livre, l’Hôtel de la Paix dont on connaît le triste sort de véritable épave échoué sur le littoral, ou encore de la CIMAO, la cimenterie qui n’a eu que deux mois d’existence.
Le constat, comme la majorité des constats au Togo est amer : il y a beaucoup trop d’éléphants blancs au Togo. La pratique est courante, et ceux qui excellent dans ce sport, gravitent tels des électrons négativement chargés, autour du Président de la République, à qui la lettre de Kwasi Nene a été adressée. Il s’agit de responsables politiques, de grands ingénieurs, d’érudits en économie, qui visiblement s’amusent à faire sortir de terre ce qui ne servira pas le peuple togolais ; peuple que le Président jure au début de chaque mandat de protéger. Peut-être que cette lettre de Kwasi Nene lui rappellera qu’il faut aussi protéger le peuple de ces individus qui jonglent avec la vie des pauvres togolais misérables qui se lèvent chaque matin en se demandant à quelle sauce nous serons mangés.
Personnellement, je crois en la bonne volonté du Président de la République, et de certains de ses collaborateurs ; mais les mauvaises graines de son environnement prolifèrent. « Si le grain ne meurt, il ne portera pas de fruit », dit la sainte parole.